L'art de viser juste pour apprécier le thé

  

La cérémonie du thé présentée pour offrir un moment zen ou chan 禅 de beauté et de calme est un art du geste sans parole, un enseignement qui se passe de mot pour aller droit au coeur. Il nous suffit d'observer et d'écouter pour recevoir. Bien sûr, ensuite les mots seront utiles pour expliquer le sens ou la philosophie de chaque geste et pour aider les amateurs de thé enthousiastes à manipuler eux aussi les ustensiles du thé avec aisance et plaisir.

Mais on peut aussi rechercher dans le thé une autre atmosphère de détente, comme une simple dégustation ou un moment d'amitié animé autour du thé.

Pour les Chinois, dans la vie de tous les jours, l'art du thé se pratique le plus simplement et librement du monde. Il n'y a aucune règle à observer, juste faire un bon thé, en extraire ce qu'il a de meilleur et obtenir une fragrance et un arôme savoureux. Profiter de l'agréable détente que procure une tasse de thé et ses effets doucement revigorants.

Longtemps, les Chinois ont considéré que le thé était meilleur si on le savourait tranquillement plutôt qu'à l'occasion de cérémonies codifiées. Rejetant toutes formes rigides et toute attitude pointilleuse, ils préféraient se réunir entre amis et passer une heure ou deux en agréable compagnie en étant tout simplement soi-même.

Il paraît même normal de ne pas viser juste et renverser un peu d'eau à côté, grâce aux plateaux à thé ajourés permettant de récupérer l'eau juste en-dessous. C'est aussi devenu un jeu d´arroser la théière pour lui donner son bain de thé et la nourrir surtout si elle est assez poreuse, comme les théières en terre.

Car ce qui compte le plus n'est pas la précision et perfection du geste, qui pourraient mettre les invités mal à l'aise, mais tout ce qui contribue à se sentir comme chez soi, détendu et même à déclencher des discussions animées et joyeuses, tout un flot de paroles qui coulent de source : se sentir bien tout simplement.

Cela rejoint l'art de viser juste des archers asiatiques.

Une anecdote surprenante illustre la philosophie de cette discipline. Un jour, un grand maître japonais vint donner en France une démonstration de cet art ancestral.

Il se concentra, leva son arc et lâcha la flèche qui alla se planter... à côté de la cible!

Comment un grand maître avait-il pu manquer la cible ? Au lieu de s'excuser et recommencer son tir, il prononça ces mots encore plus déstabilisants :

"c'était un excellent tir".

Aussi étrange que cela paraisse, atteindre la cible n'est pas le but principal de cette discipline. Pour réussir un tir, l'archer doit surtout se détacher du résultat, ne plus avoir d'attente. Avant de tirer, il doit atteindre un état totalement détendu qu'aucune pensée ne doit venir perturber. C'est l'art de trouver le juste milieu entre tension et relâchement tout comme en taichi, Qigong et méditation... et même dans l'art plus classique de la peinture : "L'art est une abstraction, pensez plus à la création qu'au résultat" (Gaughin).

L'archer expliqua ensuite son étonnante réaction : "lorsque j'ai lâché la flèche, j'étais bien. J'étais en union avec tout ce qui m'entourait et je ressentais une béatitude profonde, une grande paix intérieure, une parfaite harmonie qui me signifiait que c'était bel et bien un bon tir".

Le secret révélé par l'archer est que l'art de viser juste est l'art de viser son coeur.

Viser l'ouverture du coeur.

La vraie cible est intérieure, il s'agit de trouver la meilleure façon pour nous de pratiquer les arts physiques ou de boire le thé, créer une bonne atmosphère qui découle de nous, en visant notre propre détente et ainsi nous sentir tout simplement bien et en bonne compagnie.